Le rire nous paraît
futile, vulgaire ou même immoral. Il est le résultat d’une crue
réflexivité qui consiste en une vision englobante d’une existence
humaine. Et lorsqu’on la considère avec froideur, sans les
froufrous des mondanités et autres finalités suprêmes qui en
perdent leur sens à mesure que nous remontons la chaîne infinie des
causalités, que reste-il ? Le non-sens. Cette absurdité
s’impose à nous dans des situations précises qui ont toutes en
commun d’être particulièrement humiliantes, parce qu’elles sont
nées d’une dissonance entre le sérieux avec lequel nous
hiérarchisons les choses et une réalité dont la différence de
plan sur laquelle elle se situe nous rappelle à quel point ces
choses en question sont futiles et a fortiori nous, au regard ne
serait-ce que du monde. C’est alors que, légèrement plus désabusé
que la fois précédente, nous nous réengouffrons dans la brèche de
l’instant présent pour nous enivrer de mondanités et pourquoi
pas, au passage, enfanter des étoiles. Pourvu qu’elles soient
assez universelles pour réduire en éclats le plafond de verre du
ridicule de notre finitude. Avoir la volonté de donner un sens à sa
vie, c’est donc cela : s’efforcer comme on le peut de semer
de l’harmonie dans la laideur absurde d’une noblesse entrant en
confrontation avec les choses les plus vaines.
Le rire vise à se
réconcilier avec la laideur sans la réformer. Il n’en demeure pas
moins décisif, car il témoigne d’une grande prise de conscience
de notre condition et de la dichotomie qui existe entre ce qui est
fondamentalement important et ce qui ne l’est pas. De plus, il
n’est pas immoral, car il est en fait amoral : Il dépasse ce
triste constat pour le replacer dans le cadre du monde sensible et
ainsi jouir de lui de la façon la plus minimaliste, la plus
prosaïque qui soit. Le rire est donc délicieusement cynique : Il se
moque d’une condition humaine tout en s’y complaisant
ouvertement.