vendredi, décembre 26, 2014
lundi, décembre 22, 2014
♭ Agnès Obel - Words Are dead
Chez nous pas de sagesse, pas de folie.
Innombrables les sentences de vos sages, inépuisables les
proverbes de vos fous.
Sur les lèvres de nos sages, rien qu’un sourire, une fleur
de sourire, une neige de sourire – et dans les yeux de nos fous, même sourire,
même fraîcheur.
Car nos sages et nos fous, ce sont les mêmes.
Nous avons écouté vos sages et nous les avons trouvés
fatigués. Nous avons regardé vos fous et nous les avons trouvés tristes.
Tristesse et fatigue : un seul manteau, avec son
envers, avec son endroit.
Tristesse – la fatigue qui entre dans l’âme.
Fatigue – la tristesse qui entre dans la chair.
La fatigue va en vous d’un pas léger, comme la jeune fille
qui rentre après minuit dans la maison de ses parents : lorsque vous vous
apercevez de sa présence, il est déjà trop tard, elle a déjà fait son lit dans
votre cœur, elle a déjà serré votre pensée à l’amertume, comme la corde à son
pendu.
Vos enfants ignorent cette fatigue. Il semble qu’elle ne
vienne en vous qu’avec l’âge, nouée au chagrin comme le lierre à son arbre.
Nos saints ne font pas de miracles. Ils ne marchent pas sur
le feu, ils ne commandent pas aux montagnes, ils ne tutoient pas le vent. Nos
saints font mieux, bien mieux que des miracles : ils guérissent du
chagrin, ils effacent toute lassitude.
Nous venons boire la joie limpide dans le creux de leurs
mains.
Ni sentences, ni proverbes. Joie seulement, sourire
seulement. Joie reposant dans sourire, sourire reposant dans joie.
Car chez nous point n’est besoin de mots : un sourire
suffit – la rosée d’un sourire sur l’herbe d’un silence.
Car chez nous le contraire de la folie ce n’est pas la
sagesse, mais la joie.
Chez nous le mot amour ne se dit pas. Il tremble, il
frissonne, il vole, il plane, il est partout dans l’air – mais personne ne le
dit.
C’est que chez nous la parole n’est pas comme chez vous une
partie du monde, une île déserte dans l’océan du silence. Chez nous la parole
est plus que le monde, plus que le ciel et le soleil. Elle est comme un petit
morceau de Dieu, coincé entre les dents. On ne l’en déloge qu’avec prudence, et
seulement pour les grandes occasions.
Quand l’un d’entre nous est atteint de langueur, il va chez
son ami, c'est-à-dire chez le premier venu, car tous ici sont frères et sœurs.
Il emmène avec lui une chaise de paille. Il s’assied à côté de son frère ou de
sa sœur, il reste là sans dire un mot, le temps d’un jour, le temps d’une nuit,
le temps d’un soleil et puis d’un autre soleil, jusqu’à ce que la langueur s’en
soit allée avec lui. Alors il se lève, ramasse sa chaise de paille et s’en retourne
à ses affaires.
Le mot amour, il faudrait un événement considérable pour
qu’il vienne une seule fois à nos lèvres – et cela ne présagerait rien de bon.
Des savants ont écrit que, moins un mot était prononcé, plus
il se faisait entendre, car, assuraient-ils,
Ce qui ne peut danser au bord des lèvres
-
S’en va hurler au fond de l’âme
Peut-être.
Des religieux ont écrit aussi que le silence où dort le mot
amour était en nous comme un reste de paradis, un vestige de ce temps où les
choses brillaient de n’être pas encore nommées, où l’ombre d’un nom ne couvrait
pas encore l’éclat des choses.
Peut-être.
Un poète a écrit : Qui appelle son amour s’apprête à le
tuer
Peut-être, peut-être, peut-être. Nous sommes d’accord avec
ces théories et nous accueillons bien volontiers leurs contraires. Nous sommes
gens très tolérants avec les idées. Nous les rangeons dans les livres, et nous
rangeons les livres dans nos bibliothèques. Nous n’accordons tous nos soins
qu’à la vie, au bel oiseau de vie. Les idées ne nous dérangent pas plus que les
oiseaux empaillés. Nous laissons ceux qui le souhaitent en faire collection.
C’est une manie bien innocente.
Bien sûr on a beaucoup écrit, beaucoup fait pleuvoir le mot
amour sur le doux papier blanc. Bien sûr. Ecrire n’est pas dire, comme vous le
savez.
C’était il y a longtemps. Une pluie de livre, un vrai
déluge.
Depuis on a cessé. Depuis on a compris : pour bien
écrire le mot amour, il y faudrait plus d’encre qu’il n’y a au monde.
Chez nous pas de prison. Nous avons, comme vous, nos
assassins. Ils ne sont pas très nombreux, mais quand même, ils sont là. Mais de
prison, aucune.
Les pierres qui recouvrent nos chemins sont tranquilles.
Elles savent que jamais nous ne leur ferons l’injure de les serrer l’une contre
l’autre dans des hauts murs, pour séparer le jour et la nuit, l’homme de son
frère.
Je vous vois sourire. C’est le sourire de qui croit bien
entendre et n’entend rien. Vous vous demandez ce que nous faisons de nos
assassins, puisque nous ne les enfermons pas.
Nous ne sommes pas insensés. Nous savons que le tigre et
l’agneau ne peuvent dormir dans le même pré. Là n’est pas la question. Il est
dans la nature du tigre d’être tigre. Il est dans la nature de l’agneau d’être
agneau. Mais il n’est pas dans la nature de l’assassin d’être assassin.
Celui qui donne la mort, c’est qu’il est déjà mort.
Celui qui tue, c’est par manque d’air.
Ceux qui font le mal, nous les appelons des
« mal-respirants ».
Car chez nous tout est respiration, allée et venue de l’air
dans la gorge, de Dieu dans l’air, du monde dans Dieu, échanges incessants,
ondes continuelles, flux et reflux.
Nous ne punissons pas le criminel, nous l’aidons à rétablir
en lui sa respiration naturelle.
Nous emmenons nos assassins dans la forêt. Nous leur demandons
de prêter attention au bavardage des feuilles, à la récitation des sources et
aux sentences du vent. Nous leur demandons de prendre leur temps, de ne rien
oublier et de nous retrouver ensuite dans la clairière, pour tout nous
raconter.
A leur retour, nous leur disons ceci : enfoncez-vous
plus loin dans la forêt, là où le vert devient noir. Fermez les yeux. Ecoutez
ce qui, en vous, est comme la feuille, comme la source, comme le vent.
Cette période-là est plus longue.
Au bout de que quelques mois le premier revient et
recommence à chanter, dans le milieu de la clairière.
Car chez nous le chant est remède, le chant est lumière, le
chant est vérité, pure respiration du vrai dans le vrai, de l’esprit dans
l’esprit, du cœur dans le cœur.
Quand la voix de celui-là s’envole jusqu’au ciel, imposant
le silence aux oiseaux alentour, alors nous savons qu’il est guéri, et bien
guéri : plus de pierre sur le souffle, plus de cendre dans l’âme.
Bien sûr il y a des échecs. Certains s’égarent dans la forêt,
ou en reviennent avec une voix de fauve.
Cela nous l’acceptons. Nous ne cherchons pas comme vous, à
séparer le pur de l’impur. Nous savons qu’ils seront toujours un peu mélangés.
Nous ne sommes pas des anges – comme vous.
Christian Bobin, La présence pure
♪ Spare Room - bass Drumm Death
La question de la souveraineté d’un peuple repose d’abord sur
le concept de restriction d’intermédiaires entre le peuple et les élites
sensées trancher sur les questions que pose le vivre-ensemble. Pour qu’une
élite soit légitime quant à l’exercice de ce rôle, elle doit non seulement être
au plus près du réel, c'est-à-dire de la contingence des attentes des citoyens
qui remettent la représentation et la mise en application de leurs intérêts
entre ses mains, mais détenir les leviers de cette mise en application.
Pour ce faire, encore faut-il que cette élite soit en
« connexion » perpétuelle avec ce réel qui non seulement a des
particularités contextuelles, mais qui évolue. Car comme le constate très bien
l’africaniste Bernard Lugan, il ne s’agit pas, à l’instar des ONG que d’appliquer
des règles universelles de justice au réel, encore faut-il qu’elles puissent viser
leur cible légitime. Or la connaissance de cette cible ne repose que sur des
informations empiriques qui doivent être réactualisées constamment. Le
« ciblage » devant également s’effectuer en adéquation avec des codes
culturels et des croyances locales pour qu’une justice ne souffre pas de
malentendu et ne manque pas d’incarnation. Ce qui implique une gouvernance
« bien de chez nous ».
Quant aux leviers de pouvoir qui permettront la mise en
application de cette politique de bon sens, il y a près d’un demi siècle que
nous les perdons un à un au fil de la progression atlantiste initiée par le
plan Marshall. Ce superbe cheval de Troie nous a d’abord dépossédé de notre
culture, de notre ordre de valeurs : on y a substitué le libertarisme
soixanthuitard, le multiculturalisme et désormais tout un tas de revendications
de frustrés sexuels – Mais après tout, comment s’étonner que les Etats-Unis
enfantent de tels monstres idéologiques niant ainsi le réel ? Ce phénomène
est presque psychanalytique dans la mesure où l’assumer serait de l’ordre du
génocide mental pour un peuple dont les repères se sont construits sur la
destruction du peuple amérindien, l’esclavage ou encore l’expansion des
multinationales ayant servi de colonne vertébrale à la constitution américaine.-
Hégémonie atlantiste ayant également gagné notre modèle économique et par voie
de conséquence notre modèle social pour maintenant s’attaquer officiellement à
notre indépendance militaire face à la structuration des BRICS.
Voilà en quoi consisterait le rétablissement d’un vrai
souverainisme. Ici s’entend un souverainisme profond, ne reposant pas que sur les
notions superficielles voire même aseptisées de contrat social ou de
républicanisme, qui, en plus de ne pas forcément convenir à un contexte
politique donné n’ont jamais été suffisantes pour souder un peuple.
La justice émane bien d’une morale intersubjective,
c'est-à-dire universelle du point de vue humain. Comme l’a si bien constaté
Kant, ce génie, la doctrine « Agis de telle façon que la maxime de ton
action puisse être érigée en loi universelle de la nature » est applicable
en tout temps et en tout lieu et c’est vérifiable empiriquement puisqu’elle
repose sur une notion de symétrie du rapport à autrui que l’on peut retrouver à
travers nombre de cultures, philosophies et religions différentes. Cette
symétrie peut se traduire très simplement en ces termes : « Ne fais
pas à l’autre ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. » La justice est
donc applicable en tout temps et en tout lieu dans son rapport à autrui pris
comme sujet rationnel digne de respect (et non à un proche, avec lequel un ordre
de valeurs subjectif, propre aux relations interpersonnelles) en substance. En
substance car la forme, la manière dont le principe de justice sera mis en
musique n’a, contrairement à ce que prétend Rawls, pas vocation à découler d’un
processus universel, car chaque peuple a sa manière culturelle particulière de
le vivre. Les instruments qui présideront à l’application concrète de cette dernière
devront être minutieusement choisis et maniés en fonction des fluctuations de
l’histoire de ces peuples.
En deuxième lieu, ces instruments ne sont que des
instruments ; Ils ne constituent pas une finalité, comme tout ceux qui
passent leur temps à encenser la République veulent nous le faire croire, mais
bien un moyen. Le moyen de structurer le vivre-ensemble d’un peuple et de
réaliser ses ambitions, qu’elles se rapportent au domaine du rationnel comme du
sensible, et c’est tout l’enjeu de cette époque. Car le tort des penseurs
actuels de la neutralité politique comme Rawls n’a pas seulement été de plaquer
sur une réalité changeante un unique modèle de mise en application de la
justice, (formalisme) il a aussi été de faire de la politique quelque chose de
purement rationnel, alors même que l’unité d’un peuple que ce modèle vise à
conserver relève également d’une homogénéité culturelle et naturelle communes. Voilà
en quoi un modèle de justice n’aura à ce titre pas à dicter à la réalité d’un
peuple lui-même pris dans les contingences de l’histoire des principes qui se
révéleront peut-être obsolètes demain, mais à s’adapter à elle en vue de
perpétuer sa puissance.
La notion de « souverainisme profond » est
également à considérer comme une incarnation au niveau macroscopique de la
doctrine kantienne participant elle-même du respect de la biodiversité humaine.
Il s’agirait donc bien de préserver cet ordonnancement mondial et initial de
biodiversité naturelle en permettant des échanges entre les peuples dans le
cadre d’intérêts variés tout en les limitant assez pour qu’ils n’interfèrent
pas dans leur épanouissement respectif. Autant dire que la concurrence libre et
non faussée imposée au sein de l’UE ou encore l’officialisation de
l’assujettissement des états au secteur privé que nous réserve TAFTA sont aux
antipodes du concept de souverainisme. Le colonialisme, comparable à une
effraction qu’elle qu’en soit sa nature, serait également à proscrire à ce
titre.
En résumé, le souverainisme profond est à considérer comme l’instrument
théorique d’un principe de justice est universel libre d’appropriations
politiques et culturelles diverses. Ce principe de justice est universel en ce
que lui seul puisse garantir une coexistence respectueuse et loyale d’entités
culturelles (peuples) en vue de la perpétuation de leur puissance respective
elle-même garante d’un équilibre propre à une biodiversité humaine.
Le souverainisme pris en un sens général et non procédural
et à géométrie constante, dans la mesure où il est consubstantiel à une
politique localiste à l’écoute du réel, n’aura donc pas besoin du renfort de la
démocratie pour pallier au risque de parasitage entre les intérêts d’un peuple
et la mise en application du principe de justice par une élite. La connexion
entre ces deux entités politiques est vouée à s’effectuer en ce qu’elle repose
sur son caractère empirique ou devrais-je dire de justice incarnée. Que l’on ne
s’y trompe pas : la vocation d’un pouvoir n’est pas de réinventer l’essence
d’un principe de justice universel au grès des lubies d’un peuple. Celui-ci se
révélant souvent plus attentif à des intérêts corporatistes voire même
personnels qu’à ceux de la justice en raison d’une nature inéquitable et d’une
impossibilité de démocratisation totale de la culture.