Eléments

lundi, juin 23, 2014

♫ (s)AINT - Marilyn Manson

La morale (éthique) se caractérise par trois traits fondamentaux : sa dimension absolue et en cela universelle, mystérieuse, et descendante. La morale est effectivement cette force qui s’impose irrésistiblement à l’homme par le truchement de sa raison pour impacter sur la Terre. Une force dont la puissance n’a d’égal que l’ignorance de sa provenance, et pour cause : Nous sommes dotés du libre-arbitre, l’aléatoire sans quoi le monde, pour ainsi dire pipé d’avance, serait absurde. L’art (esthétique), à l’inverse, est inductif. Puisqu’il naît des sens, des rêves et de l’imagination et d’une part de rationalité venant les « condenser » dans des œuvres, il a une dimension tout à fait aléatoire et en cela une provenance connue, ainsi qu’une vocation ascendante. L’art, en définitive, à partir d’une subjectivité va vouloir embrasser l’objectivité de l’univers par la voie des sens. Et c’est d’ailleurs bien ce saut dans le vide, ce caractère à la fois vain et audacieux qui confère à la démarche qu’il représente tant de beauté ; Quel que soit le degré de réussite de la démarche en question.
La morale, pour s’appliquer au réel, doit faire face à ce que l’on appelle obstacles, mais qui lui confèrent en fait tout son sens. Il s’agit des instincts avec lesquels elle se confronte, qui ne tendent qu’à la facilité, à savoir le plaisir instantané, ainsi que rien de moins que la vie, qui exige parfois d’elle qu’elle emprunte des voies sales et malodorantes. Ces dilemmes impliquent que la morale soit en quelque sorte tributaire du réel pour se réaliser, ce qui est à la fois source de souffrance et d’excitation, à l’inverse de l’existence des anges, ces âmes pure, qui doit être d’un ennui mortel, ne faisant l’objet d’aucun doute, d’aucune passion, donc d’aucun intérêt.

Car la passion est notre raison d’être sur Terre. Produit de notre réflexivité sur la souffrance naissant du doute, elle est la synthèse par excellence entre particulier et universel, car elle est l’incarnation par la subjectivité de l’homme de ses aspirations métaphysiques ; Ces questions cosmogoniques ou cosmologiques venant se heurter à la finitude de l’homme dans un flot de spéculations dont on intuitionne le caractère vain car spéculatif et qui donneront toujours à la pensée la teneur aigre-douce de l’inachevé… Kierkegaard choisi de l’assumer, et c’est pour cela qu’il se refusera par exemple à élaborer de quelconques systèmes philosophiques, par nature voués à se refermer sur eux-mêmes sans avoir pu embrasser toute la complexité de la nature.
Cette synthèse, que l’on peut aussi désigner par « toujours dans le jamais » se traduit de moult façons. Par ce que Kierkegaard appelle l’instant, l’éclat de vérité surgissant dans le néant de la temporalité. Ou encore par l’amour, absolutisme d’un idéal personnel s’incarnant dans les limites de ce que l’on peut connaître de quelqu’un, d’où le fait que tout rapport à l’autre soit voué à être en grande partie un malentendu, une projection de soi ; L’amour d’autrui comme miroir de soi-même, donc miroir aux alouettes. Cela éclaire peut-être un tant soit peu l’adage qui dit que l’amour authentique, c’est l’amour des imperfections de l’autre. La notion de leadership s’apparente elle aussi à la synthèse du particulier et de l’universel : On attend qu’un être faillible représente et fasse honneur à des idées empreintes d’immuabilité, du moins au yeux des hommes.

Bref, nous attendons de nous-mêmes et de la vie qu’elle nous apporte la passion nécessaire qui fera le lien entre immanence et transcendance, l’une légitimant l’autre. Et c’est parce que nous avons besoin de reconnaître l’universel dans le particulier pour donner un sens à ce dernier, et d’illustrer l’universel par les particularités du monde pour nous l’approprier que le fait de vivre se suffit lui-même. Vivre pleinement, que ce soit à travers la politique, l’amour que sais-je encore comme vecteurs de passion pour faire cohabiter ces deux fondamentaux. Non comme le font les croyants ou les êtres claquemurés dans leur égoïsme ou leur nihilisme en se vouant davantage à l’un qu’à l’autre, dont l’importance est la même. 

mardi, juin 03, 2014

♫ Smocking or not smocking ? - Alain Chamfort


Levi-Strauss constatait avec justesse que l’on ne pouvait hiérarchiser les races dans la mesure où l’on ne pouvait hiérarchiser les cultures qui en émanaient. Une civilisation, une culture ou une société, bref, un système complexe ordonnant la vie d’un groupe d’individus, recèle des éléments dont la fonction n'est pas forcément accessible avec la grille de lecture qui est la nôtre, si tant est qu’ils semblent similaires à ce que l’on peut connaître. En effet, même si en tant que membres d’une même espèce humaine, nous avons tous les mêmes aspirations, les particularités d’un environnement et les races qui en résulteront (fruit d'une adaptation) donneront lieu à des mises en œuvre différentes de ces aspirations innées. (besoins élémentaires pour les instincts, cohésion pour la sensibilité et justice pour la raison, la rationalité n'étant que le moyen d'application de ces trois choses) Si bien que les codes, les arts et les institutions d’un système complexe pourront tout au plus se rendre accessibles de façon rationnelle, dans la mesure où l'on peut évaluer la performance des éléments d'un système complexe en fonction de leur finalité, mais qu'il demeurera un aspect irréductible de l'entreprise anthropologique relevant du fait que ces éléments, bien qu'ils s'apparentent à la mise en oeuvre de mêmes besoins, s'expriment au sein de sensibilités particulières. Ce faisant ils ne revêtiront jamais la puissance symbolique que pourrait se figurer un individu n'ayant pas été élevé ou même immergé longuement au sein du microcosme en question. Cette part d'irrationnel, indispensable à toute cohésion d'un peuple, fait obstacle à une quelconque démarche de jugement de ce dernier car, échappant à la téléologie purement fonctionnaliste, elle ne saurait être objectivée.

Ce relativisme des cultures est non seulement une réalité de fait, mais aussi de droit puisqu’il prévient tout risque d’hégémonie. Mais diversité et curiosité du monde tendent à être absorbés par un colonialisme de la pensée impulsé par les lumières et appelé « droits de l’homme ». Cette célébration des libertés individuelles, utilitarisme des rapports humains se donnant bonne conscience en se drapant d’humanisme a mis et continue de mettre à mal l’expression de la richesse humaine dans sa diversité sur bien des plans. Elle irradia d’abord l’Europe sur le plan intellectuel avant de connaître un fort retentissement en Angleterre, berceau du capitalisme et de la mise en magasin des matières premières, puis en Amérique sur le plan économique avec l’avènement des multinationales. Cette idéologie, qui a pour objectif premier le profit, s’attaque maintenant au reste de monde avec l’ensemble des armes évoquées précédemment, à la différence du fait qu’elles aient désormais l’urbanisation comme vecteur de déploiement (Exemple frappant avec l'Ecole de Chicago, qui s'est servi de l'explosion démographique des Etats-Unis pour faire naître l'idéologie libéralo-libertaire sous couvert d'investigation journalistique...) et la diplomatie pour légitimer rationnellement ce néocolonialisme en forme d'exportation du consumérisme.
Le dénominateur commun de ce qui est qualifié communément de progrès, de « progressisme » ou encore d'« avancée technique », est comme l’a si bien constaté Norbert Elias la notion d’autocontrôle. Ce qui peut sembler paradoxal s’éclaire lorsqu’on prend le temps d’en dérouler la logique : Si le concept d’extension infinie des droits servira de moteur à une aseptisation des mœurs toujours plus grande, c’est parce que comme évoqué précédemment, il est mis au service d’une vision rationaliste des rapports interpersonnels et politiques. 
Depuis la société de cour, cet utilitarisme qui se drape dans des discours de liberté a été la condition de possibilité des normes sociales occidentales et a été ensuite transposé à l’ensemble de l’environnement, de façon à aboutir aux multiples problèmes écologiques que l’on connaît actuellement. Cette appropriation du monde par l’utilitarisme que sous-tend ce que l’on appelle « mondialisation » est en fait son accaparement par le mondialisme, à savoir sa standardisation par la technique, et plus particulièrement la maritimisation. Norbert Elias était un paneuropéen, dans la mesure où il attribuait le nom de « civilisation » à ce façonnement ultrarationnel du monde à marche forcée, c'est-à-dire imposé par le modèle de libéralisme économique qui n’a cessé de se développer depuis 1550/1600 à Venise, si l’on en croit Fernand Braudel. Cette vision évolutionniste –comme toutes les visions évolutionnistes au demeurant- peut être qualifiée d’ethnocentrée, dans la mesure où elle reproduit le schéma de pensée indiqué précédemment consistant à plaquer sur le monde un modèle de fonctionnement idéal ou vécu indépendamment de la finalité qu’un peuple se proposerait de réaliser ainsi que d’un environnement donné.

Nous nous retrouvons donc face au défi de protéger la biodiversité, qu’elle se rapporte à l’environnement comme à l’humanité. La protéger n’est pas encourager sa dissolution dans un gloubiboulga se voulant homogène appelé « multiculturalisme ». Gloubiboulga qui ne fonctionne pas pour deux raisons fondamentales ; le fait que l’altérité ne peut être féconde dans la violence de son imposition ainsi que l’artifice de cette altérité, puisqu’il y a inadéquation entre la nature d’un peuple importé et un territoire donné, de la même façon qu’un Baobab ne saurait prendre racines dans une prairie normande.
Ce concept de biodiversité doit s’appliquer aux cultures comme aux idéologies. D’aucuns diront que c’est la démocratie qui est sa condition nécessaire de réalisation ; Le fait de laisser les forces s’exprimer dans un système complexe en toute indépendance et les laisser se confronter « à la loyale ». Cette conception est au vivre-ensemble intellectuel ce que le multiculturalisme est au vivre-ensemble, à savoir un suicide collectif. Non pas cette fois-ci à cause de ses fondements, mais de ses implications, à savoir un nivellement des valeurs impliquant leur submersion par la complaisance passive et béate et la désacralisation de l’espace commun. Les présupposés de justice par lesquels sont régis chaque système complexe doivent donc avoir des modalités d'application à la fois sensibles (culture) et rationnelles (idéologie) résultant de l’environnement particulier auquel ils s’appliquent, de la même façon que la culture émane de la nature. Il s'agit de prôner une diversité idéologique relative à un environnement donné qui conférerait à des forces qui s'affrontent un même degré de « l'à-propos » et ainsi un même degré de légitimité. L’universel, qui se traduit comme on l’a vu par un relativisme culturel et idéologique, n’a donc vocation qu’à subsumer le particulier, et non le remplacer.
L’idéologie des lumières avait pourtant su donner un bel exemple de l’équilibre entre individu et société, entre particulier et universel… Jusqu’à ce qu’elle vire à l’obsession de l’universel en se donnant pour ambition de plaquer sa conception unificatrice de l’Homme aux déclinaisons de son être par définition pourtant particulières, c'est-à-dire propres à un environnement donné et à des contingences historiques.
Récent Ancien Base