Levi-Strauss constatait avec justesse que l’on ne pouvait hiérarchiser les races dans la mesure où l’on ne pouvait hiérarchiser les cultures qui en émanaient. Une civilisation, une culture ou une société, bref, un système complexe ordonnant la vie d’un groupe d’individus, recèle des éléments dont la fonction n'est pas forcément accessible avec la grille de lecture qui est la nôtre, si tant est qu’ils semblent similaires à ce que l’on peut connaître. En effet, même si en tant que membres d’une même espèce humaine, nous avons tous les mêmes aspirations, les particularités d’un environnement et les races qui en résulteront (fruit d'une adaptation) donneront lieu à des mises en œuvre différentes de ces aspirations innées. (besoins élémentaires pour les instincts, cohésion pour la sensibilité et justice pour la raison, la rationalité n'étant que le moyen d'application de ces trois choses) Si bien que les codes, les arts et les institutions d’un système complexe pourront tout au plus se rendre accessibles de façon rationnelle, dans la mesure où l'on peut évaluer la performance des éléments d'un système complexe en fonction de leur finalité, mais qu'il demeurera un aspect irréductible de l'entreprise anthropologique relevant du fait que ces éléments, bien qu'ils s'apparentent à la mise en oeuvre de mêmes besoins, s'expriment au sein de sensibilités particulières. Ce faisant ils ne revêtiront jamais la puissance symbolique que pourrait se figurer un individu n'ayant pas été élevé ou même immergé longuement au sein du microcosme en question. Cette part d'irrationnel, indispensable à toute cohésion d'un peuple, fait obstacle à une quelconque démarche de jugement de ce dernier car, échappant à la téléologie purement fonctionnaliste, elle ne saurait être objectivée.
Ce relativisme des cultures est non seulement une
réalité de fait, mais aussi de droit puisqu’il prévient tout risque
d’hégémonie. Mais diversité et curiosité du monde tendent à être absorbés par un colonialisme
de la
pensée impulsé par les lumières et appelé « droits de l’homme ».
Cette célébration des libertés individuelles, utilitarisme des rapports
humains
se donnant bonne conscience en se drapant d’humanisme a mis et
continue
de mettre à mal l’expression de la richesse humaine dans sa diversité
sur bien
des plans. Elle irradia d’abord l’Europe sur le plan intellectuel avant
de
connaître un fort retentissement en Angleterre, berceau du capitalisme
et de la
mise en magasin des matières premières, puis en Amérique sur le plan
économique
avec l’avènement des multinationales. Cette idéologie, qui a pour objectif premier le profit, s’attaque maintenant au reste
de monde
avec l’ensemble des armes évoquées précédemment, à la différence du fait
qu’elles aient désormais l’urbanisation comme vecteur de déploiement (Exemple frappant avec l'Ecole de Chicago, qui s'est servi de
l'explosion démographique des Etats-Unis pour faire naître l'idéologie
libéralo-libertaire sous couvert d'investigation journalistique...) et la diplomatie pour légitimer rationnellement ce néocolonialisme en forme d'exportation du consumérisme.
Le
dénominateur commun de ce qui est qualifié communément de progrès, de « progressisme » ou encore d'« avancée technique », est
comme l’a si bien constaté Norbert Elias la notion d’autocontrôle. Ce qui peut
sembler paradoxal s’éclaire lorsqu’on prend le temps d’en dérouler la
logique : Si le concept d’extension infinie des droits servira de moteur à
une aseptisation des mœurs toujours plus grande, c’est parce que comme évoqué
précédemment, il est mis au service d’une vision rationaliste des rapports
interpersonnels et politiques.
Depuis la société de cour, cet utilitarisme qui se drape
dans des discours de liberté a été la condition de possibilité des normes
sociales occidentales et a été ensuite transposé à l’ensemble de
l’environnement, de façon à aboutir aux multiples problèmes écologiques que
l’on connaît actuellement. Cette appropriation du monde par l’utilitarisme que
sous-tend ce que l’on appelle « mondialisation » est en fait son accaparement
par le mondialisme, à savoir sa standardisation par la technique, et plus particulièrement la maritimisation. Norbert Elias
était un paneuropéen, dans la mesure où il attribuait le nom de
« civilisation » à ce façonnement ultrarationnel du monde à marche
forcée, c'est-à-dire imposé par le modèle de libéralisme économique qui n’a cessé
de se développer depuis 1550/1600 à Venise, si l’on en croit Fernand Braudel.
Cette vision évolutionniste –comme toutes les visions évolutionnistes au
demeurant- peut être qualifiée d’ethnocentrée, dans la mesure où elle reproduit
le schéma de pensée indiqué précédemment consistant à plaquer sur le monde un
modèle de fonctionnement idéal ou vécu indépendamment de la finalité qu’un
peuple se proposerait de réaliser ainsi que d’un environnement donné.
Nous nous retrouvons donc face au défi de protéger la
biodiversité, qu’elle se rapporte à l’environnement comme à l’humanité. La
protéger n’est pas encourager sa dissolution dans un gloubiboulga se voulant
homogène appelé « multiculturalisme ». Gloubiboulga qui ne fonctionne
pas pour deux raisons fondamentales ; le fait que l’altérité ne peut être
féconde dans la violence de son imposition ainsi que l’artifice de cette
altérité, puisqu’il y a inadéquation entre la nature d’un peuple importé et un
territoire donné, de la même façon qu’un Baobab ne saurait prendre racines dans
une prairie normande.
Ce concept de biodiversité doit s’appliquer aux cultures comme
aux idéologies. D’aucuns diront que c’est la démocratie qui est sa condition
nécessaire de réalisation ; Le fait de laisser les forces s’exprimer dans
un système complexe en toute indépendance et les laisser se confronter « à
la loyale ». Cette conception est au vivre-ensemble intellectuel ce que le
multiculturalisme est au vivre-ensemble, à savoir un suicide collectif. Non pas
cette fois-ci à cause de ses fondements, mais de ses implications, à savoir un nivellement
des valeurs impliquant leur submersion par la complaisance passive et béate et
la désacralisation de l’espace commun. Les présupposés de justice par lesquels sont régis chaque système complexe doivent donc avoir des modalités d'application à la fois sensibles (culture) et rationnelles (idéologie) résultant de l’environnement particulier
auquel ils s’appliquent, de la même façon que la culture émane de la nature. Il s'agit de prôner une diversité idéologique relative à un environnement donné qui conférerait à des forces qui s'affrontent un même degré de « l'à-propos » et ainsi un même degré de légitimité. L’universel,
qui se traduit comme on l’a vu par un relativisme culturel et idéologique, n’a
donc vocation qu’à subsumer le particulier, et non le remplacer.
L’idéologie des lumières avait pourtant su donner un bel exemple de l’équilibre entre individu et société, entre particulier et universel… Jusqu’à ce qu’elle vire à l’obsession de l’universel en se donnant pour ambition de plaquer sa conception unificatrice de l’Homme aux déclinaisons de son être par définition pourtant particulières, c'est-à-dire propres à un environnement donné et à des contingences historiques.
L’idéologie des lumières avait pourtant su donner un bel exemple de l’équilibre entre individu et société, entre particulier et universel… Jusqu’à ce qu’elle vire à l’obsession de l’universel en se donnant pour ambition de plaquer sa conception unificatrice de l’Homme aux déclinaisons de son être par définition pourtant particulières, c'est-à-dire propres à un environnement donné et à des contingences historiques.